La vraie vie des personnages de ballet en confinement

Le confinement a marqué la danse, comme le reste du monde, c’est une certitude. Cours en ligne, workout maison et désespoir de voir les salles fermées, chacun y est allé de son état d’esprit enfermé chez soi. Les personnages de ballets ne sont pas en reste : si certains ont pu s’échapper de leur clôture pour quelques livestreams d’urgence, pour eux aussi, le confinement a été une période singulière.

Les Balletomanes Anonymes sont aujourd’hui en mesure de vous révéler, en exclusivité, quelle a été la vraie vie des personnages de ballet au cours des deux mois écoulés.

Aurore

N’étant pas à quelques mois près, la princesse Aurore en a rajouté deux à ses cent ans de sommeil. Assoupie comme à son habitude, elle n’a rien vu de ce qui s’est passé, n’est au courant de rien, perdue dans ses songes de princesse, dans son lit de princesse, avec sa robe de princesse. Mais sans son prince. Heureusement qu’elle aime dormir, Aurore : non seulement Désiré n’a pas pu aller la réveiller pendant le confinement, mais les gestes barrières lui interdisent de l’embrasser pour la réveiller. La fée Lilas a beau lui répéter que si, pour une fois il peut faire une exception, il a trop peur, le bougre. Et voilà, encore un mariage reporté à cause du Covid.

Le Jeune Homme

Le Jeune Homme était déjà confiné dans sa chambre de bonne à Paris, il a donc continué à naviguer entre spleen, bowling avec des meubles, désespoir, et longues pauses clopes sur son lit, les yeux dans le vague pendant que les cendres tombaient sur ses draps. Le Jeune Homme, il a vécu sa petite vie tranquille. D’ailleurs, en parlant de vie, la Mort n’a même pas pu lui rendre sa visite habituelle, le confinement rendant impossible les balades nocturnes sur les toits de Paris.

Cendrillon

Cendrillon était, elle aussi, déjà enfermée chez elle de toutes façons. Mais l’annulation du bal du Producteur, ça lui a mis un coup au moral tout de même. Heureusement, son quotidien s’est un peu adouci : dans leur ennui, ses sœurs et sa marâtre se sont prises de passion pour les tâches ménagères. Les voilà qui se battent pour lui prendre le balai des mains, et à lui demander ses trucs et astuces pour une recette réussie de pain cuit sous la cendre. Heureusement, en bonne cinéphile, Cendrillon a pu utiliser ce temps libre pour regarder une quantité de films. Si avec ça elle n’a pas plein de trucs à dire au Producteur…

Solor

Manque de chance, quand le Rajah a annoncé le confinement et, par conséquent, la fermeture du Palais, Solor était parti chasser le tigre. Il trouva porte close à son retour. Même pas la peine d’aller quémander refuge au Temple, le Grand Prêtre se faisant un plaisir de lui opposer la plus stricte politique sanitaire. Errant dans la forêt, il essaya plusieurs jours de trouver des opiacés pour calmer ses crises d’angoisse. Il finit par fumer des orties. Il nous a d’ailleurs déclaré à ce sujet : « Très mauvais baye, les Ombres n’étaient pas aussi nettes que d’habitude. T’as de la bonne, toi ? ».

Juliette

Le bal des Capulet avait mis Juliette en joie : quelle chance, il a eu lieu le dernier week-end avant le confinement. Le Covid s’était invité à la fête : ses parents étaient tombés malades juste après, ce qui l’inquiétait un peu. Tybalt aussi, mais elle se faisait moins de souci pour son gaillard de cousin. Au fond, cela l’arrangeait bien, car elle avait ainsi le champ libre pour attendre Roméo à son balcon. Seulement, plus beau que courageux, le joli Montaigu n’est jamais venu… Lasse d’attendre, Juliette a donc fini par danser avec les arbres du jardin, faute de mieux.

Albrecht

Albrecht a eu une chance incroyable : il était dans ses terres de Silésie lorsque le confinement a été annoncé. Il a donc profité de son séjour champêtre pour se balader dans les bois, la nuit, son ténébreux manteau drapé autour de lui, mais il manquait quelque chose. Il a bien senti, Albrecht, que son destin romantique était contrarié par le confinement : pas un joueur de dés, pas un rival jaloux, pas une Wili à rencontrer dans la forêt. Il aurait bien voulu pousser jusqu’à la tombe de Giselle, pour voir, mais elle était à plus d’un kilomètre de son domicile (ce que Wilfried, son page, n’a pas arrêté de lui répéter).

Siegfried

Confiné au château, c’est dans la plus stricte intimité familiale que le prince Siegfried a fêté son anniversaire. Pas de valse et de polonaise avec les copains, passe encore. Mais seul autour du gâteau avec sa mère et son précepteur, c’était carrément glauque. Le tout a commencé à devenir carrément flippant quand ledit précepteur, rendu fou par l’enfermement, s’est mis à courir dans les couloirs en battant des bras comme si c’étaient des ailes. Et impossible de dormir avec ce cygne qui venait frapper à sa fenêtre toutes les nuits. Il nous a déclaré : « Si on doit reconfiner, je préfère aller me jeter dans le lac ! ».

La Dame aux camélias

Marguerite est une femme du monde, et vit de ses rencontres. Alors quoi, laisser la crinoline au placard, ne plus sortir à l’Opéra, ne plus voir personne, et surtout pas ses admirateurs ? Quelle idée ! Qu’à cela ne tienne, Marguerite a fait porter des petits cartons chez ses amis : chez elle, on reçoit. La police a été bien surprise de voir tout ce beau monde folâtrer chez la demi-mondaine… Heureusement que le duc a gentiment payé les amendes de tout le monde. Pas découragée, Marguerite a quitté Paris sans attestation (mais avec un Armand ravi) pour sa maison de campagne.

Don José

Don José n’était que douleur lorsque la fermeture de sa taverne préférée a été annoncée. Adieu, les soirées avinées, les danses avec des chaises, les batailles d’ivrogne, les copains, et les copines à perruques… Après s’être lamenté sur son triste sort, Don José, jamais à court de (mauvaises) ressources, s’est frotté les mains quand il a vu dans la panique sanitaire l’occasion de faire de bonnes affaires. Aidé de ses relations chez les contrebandiers et fin connaisseur des habitudes de la police, il a monté un trafic de masques et de gel hydroalcoolique. On vous laisse deviner comment tout cela s’est fini (on peut juste vous dire que même avec la réouverture des bars, il ne va pas la revoir de sitôt, sa taverne).

Lise

La Fille mal gardée n’a jamais aussi bien porté son nom. Déjà pas bien disciplinée en temps normal, ce n’est pas un « confinement » qui allait l’empêcher de n’en faire qu’à sa tête. La mère Simone, pas plus commode que d’habitude, est tout aussi débordée par les événements. Alors Lise s’en donne à cœur joie, et file à travers champs retrouver Colas. Les risques ? Lise s’en fiche, ou n’en n’a pas conscience. À qui l’embête, elle répond que « danser avec un ruban est un moyen infaillible de garantir la distanciation physique ». Avant de nous avouer, étouffant un rire, qu’il lui arrive parfois de s’enrouler dans le ruban…